Au douzième coup de minuit
Une réécriture de Cendrillon au
XIXème siècle ? Chouette ! Un conte de fée à l'époque Victorienne ? Miam. De
belles robes, style empire, un parler châtié, les règles de l’étiquette qui
freinent les relations hommes-femmes quand elles ne créent pas carrément des
malentendus ? J’en salive d’avance.
La couverture d’Au douzième coup de minuit d’Eloisa
James est en elle-même une invitation : on y voit une jeune femme blonde
descendre à la va-vite un escalier en pierre, dans un froufrou de jupons
blancs. Elle dévoile sensuellement son pied nu. Bien sûr, sa tête a été coupée
au montage parce que cette femme… C’est moi ! C’est vous, enfin… c’est la
lectrice qui s’empare du livre. Il est particulièrement malin de faciliter
ainsi l’identification avec l’héroïne.
Au début comme à la fin de l’histoire,
la conteuse est présente pour conduire la lectrice, de sa main diligente. Et
peu à peu, on entre dans l’univers de Kate, en passant d’abord par la petite
porte : celle des serviteurs, et accessoirement de Kate, puis par l’introduction
de l’énigme des rats. Tout a commencé
avec eux, nous dit la conteuse. Mais de quels rats s’agit-il ? Gusgus ? Jack ?
Comme Cendrillon, Kate est
méprisée par sa belle-mère, qui s’est accaparé le manoir familial, après que le
père de Kate est mort. Mais bien que Kate ait eu auparavant à accomplir
quelques menus travaux de repassage, elle n’a pas l’obéissance douce de la
Cendrillon de Disney : elle répond à sa belle-mère avec mordant et occupe
moins une position de servante qu’un poste de régisseur : elle veille au
bon fonctionnement du domaine paternel. On comprend d’ailleurs assez rapidement
que ce qui la retient est l’intérêt des pauvres gens du domaine, exploités et
maltraités par sa belle-mère Marianne. C’est son sens de l’honneur et de la
loyauté qui prime : Kate devient ainsi une véritable héroïne et non plus
une victime.
Pas non plus de Javotte ni d’Anasthasie
bêtes, braillardes et querelleuses, mais une innocente quoique superficielle
Victoria, que Kate ne peut pas détester.
Ainsi, la demi-sœur servir de
prétexte à l’idée de la substitution, ficelle romanesque qui a fait ses
preuves, puis à celle de la transformation : pour remplacer sa demi-sœur, défigurée
par un rat, à la cour du prince et
faire illusion, Kate va passer du pauvre laideron qu’elle est à cause de la
situation, en une riche péronnelle (J’imagine assez bien une sorte d’Effie
comme dans Hunger Games !). C’est
là que la variation prend toute sa valeur : porter la garde-robe de
Victoria ne met pas Kate particulièrement à son avantage !
On observe également quelques
inspirations qui sont tout autant de clins d’œil à la littérature
sentimentale : un rien d’Orgueils et
préjugés, quand, au début de leurs relations, Gabriel et Kate se méprisent
et se méfient l’un de l’autre, un soupçon de Bridget Jones plus tard, quand Kate dévoile à sa grande honte ses
seins de cire comme Bridget montre, malgré elle, sa gaine à son patron.
Plusieurs allusions, plus sérieuses (hum, hum…) jalonnent également le récit :
les amants du roman sont comparés à Roméo
et Juliette, les amants maudits, puis à Enée
et Didon, mythe romain du sacrifice par amour, qui permettra une fin un
rien pompière (Tadam !).
Et puis, ce qui ne gâche rien, la
connaissance approfondie du XIXème siècle d’Eloisa James rend possibles un
décor, des personnages et des situations tout à fait crédibles et qui dépaysent
et transportent les lectrices.
J’ai donc passé un bon moment
mais quelques bémols ont quand même un peu gêné ma lecture.
Ce qui m’a d’abord un peu déçue,
c’est que le subterfuge du travestissement de Kate en Victoria n’ait pas duré. En
effet, la ruse tombe au tiers du roman pour que naisse une romance entre le
ténébreux et arrogant prince Gabriel et une Kate, qui n’est cependant toujours pas
à place, à cause de son manque de fortune et d’éducation. Dès lors, c’est le
trio de la princesse Russe promise au prince, Gabriel et Kate qui va faire
bouger l’intrigue. Dommage. Il n’était pas nécessaire, selon moi, d’ajouter un
nouveau personnage : le spectre de la voluptueuse Victoria et de son futur
mari aurait pu suffire à freiner la relation entre Gabriel et Kate et
occasionner un certain nombre de malentendus et de désagréments.
L’apparition des scènes de sexe
ne m’ont pas non plus ravie (Vous vous
dites, peut-être « Mais quelle rabat-joie, celle-là ! », et vous
avez sans doute raison, mais attendez voir la suite.). D’abord, j’ai
regretté que Kate n’ait pas plus de classe et de caractère que ça : elle
est où, la battante, quand on passe sous la ceinture ? Et à quoi bon
toutes ces tergiversations pour en arriver là ? Pour moi, le désir frustré
(qui était tout à fait justifié par l’époque du XIXème siècle) est bien plus porteur
de fantasme qu’une scène de sexe, si sensuelle soit-elle, surtout si cette
scène est renouvelée (On risque d’en perdre la saveur.). Je me suis ensuite
fait la remarque que c’était sans doute une sorte d’exigence de la ligne
éditoriale. Peut-être que ces romances historiques ne sont pas faites pour moi ?
Mais on peut supposer qu’il est difficile de doser la part de réalisme, qui va
toucher les fantasmes des lectrices actuelles, qu’on peut intégrer au conte.
Au douzième coup de minuit est donc un bon cocktail, assez efficace de
ficelles et d’inspirations connues mais la déception arrive avec le sacrifice
aux exigences du genre et au passage à l’acte.
Peut-être vais-je tenter la lecture du tome 2, afin de passer un bon moment et de confirmer, ou d'infirmer, ma première impression.
Commentaires