Darius, de Jean-Benoît Patricot

Lors d’une Masse critique de Babelio, je décide de faire ma curieuse et de mettre une option sur Darius, de Jean-Benoît Patricot. 

Ce récit épistolaire raconte le moment où se croisent les chemins de Claire, maman d’un grand fils de dix-neuf ans plurihandicapé, et de Paul Lagarce, parfumeur retiré. La première demande au second de créer des parfums susceptibles de rappeler au jeune Darius les lieux qu’il n’est plus en mesure d’aller visiter.


J’ai dévoré ce petit roman hier soir et voici ma réaction :





Eh oui ! Depuis que la vie m’a fait prendre un chemin que je n’avais pas prévu, ou plutôt depuis qu’elle m’a dévoyée de ma route, avec pertes et fracas, j’évite les sujets sensibles, dont je sais qu’ils risquent de me bouleverser ; je me protège, je deviens timorée. Je choisis mes lectures avec soin : légères et imaginaires, le plus souvent. Je pratique ce qu’on appelle la bibliothérapie 😅. Sauf que, s’il arrive, de temps en temps, que de telles lectures apportent un peu de nourriture au cerveau (Je pense à la philosophie sous-jacente des livres d’Ursula Le Guin ou d’Orson Scott Card, ou à la construction extrêmement habile des Cartographes de S.E. Grove), le style n’est pas toujours au rendez-vous, la fibre sensible ne vibre pas de la même façon, et intellectuellement, ce peut être aussi léger que, eh bien, le genre choisi...

Ici, rien de tel. Tout se joue dans la délicatesse des mots que Claire et Paul s’adressent, un peu à l’ancienne, par pigeons... Non, je plaisante !

L’un et l’autre sont à deux moments fondamentaux de leur vie : Claire doit faire face à la perte des dernières facultés de son fils ; lorsque sa femme est morte, Paul a renoncé, à sa passion, à sa vie, à ce qu’il est. C’est la demande, insistante et tenace, de Claire qui va faire évoluer les deux personnages. Et c’est surtout Darius, personnage évoqué sans cesse mais qui ne s’exprime jamais autrement que par l’intermédiaire de sa mère et dont les demandes sont si troublantes. Comment, en effet, créer le parfum qui évoquerait un film, ou encore une personne ??? "Merci du cadeau", réplique Paul.

Jean-Benoît Patricot brosse des portraits de personnages tout à fait attachants et tisse leurs trajectoires les unes aux autres. J’ai aimé voir Paul s’éveiller à nouveau à la vie, grâce à un jeune homme qui décline mais conserve néanmoins un appétit de vivre féroce.

Le réalisme de la situation n’épargne pas le lecteur et lui réserve quelques surprises : la communication entre Claire et le susceptible artiste n’est pas toujours évidente. Cependant, quand enfin, Paul s’ouvre, de la poésie pure, des instants de grâce apparaissent, nourris de passion, de souvenirs et de culture. Voici ce que dit Claire du parfum Rome, que lui a envoyé le créateur : 

« Ce parfum est un bonheur, une harmonie parfaite avec des senteurs souples, vibrantes, propices aux illusions, peut-être même à l’abstraction. J’y ai retrouvé toute la ville, les ruelles sombres et chaudes, l’air captif des églises, le soleil dans les jardins de la villa Médicis, la musicalité de la langue. (...)
J’ai toute de suite su qu’il (Darius) avait reconnu Rome à son petit sourire de contentement. Il est resté les yeux clos. Il était de retour à Rome. De temps en temps, dans le creux de ma main libre, il me signait un mot : "chat". Et je savais qu’il était sur la terrasse de l’appartement loué où venaient s’échouer des toits de tuiles, apportant tous les matous des environs. »

La description des sensations olfactives ne m’a pas non plus laissée indifférente. Je ne me laisse pas tellement guider par mon odorat, que je trouve d’ailleurs assez peu développé. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée me rappelle toujours le plaisir de se rouler dans l’herbe, l’été ; j’aime l’odeur des vieux livres, et celle, plus chimique, de ceux qui viennent tout juste de sortir d’impression. Toutefois, je n’associe pas tellement mes souvenirs aux odeurs. Je suis donc toujours très étonnée de constater qu’il existe un monde de senteurs auquel je n’ai pas accès. J’ai aimé lire Le Parfum de Süskind, parce que je me suis sentie en terre étrangère ; j’ai de même apprécié ma lecture, parce qu’elle décrit, avec précision, ce qui relève, pour moi, de l’inconnu.

Avec Darius, Jean-Benoît Patricot nous parle bien sûr du handicap et du rôle de l’odorat dans les souvenirs, mais bien plus que cela, il nous parle de la fragilité des êtres et nous en montre la beauté gracieuse. Et cela m’a tellement bouleversée que j’en ai manqué d’air ; hier, je me suis pris une claque : la vie n’est jamais si belle que lorsqu’on est conscient qu’elle nous file entre les doigts.


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