Je rêve que Marguerite Duras vient me voir, d'Isabelle Minière

Je rêve que Marguerite Duras vient me voir me faisait de l’œil, dans la Masse Critique de Babelio du mois de Janvier, grâce à son résumé : voilà un personnage qui nous confie son ambition de devenir écrivain mais qui est bloqué avant même d’avoir commencé. J’ai eu l’impression de m’y voir ; j’ai donc voulu lire comment le sujet était traité.



Résumé de l'éditeur : 

Je suis un écrivain. C’est une intuition, une conviction enracinée en moi, et j’y crois. Je n’écris pas, et alors ? Qu’est-ce que ça prouve ? Un écrivain a bien le droit (et peut-être même le devoir, allez savoir) d’être en panne de temps en temps. Dans mon cas, c’est une panne chronique, voilà tout. Il n’empêche, je suis un écrivain. Un écrit-rien… ?

Gaétan est un écrivain. Il le sait, il en est sûr. Sauf que jusqu'à présent, il n'a rien écrit. Sauf qu'autour de lui, personne, vraiment personne ne le sait. Une nuit, Marguerite Duras lui apparaît en rêve. Elle lui confie le secret pour devenir écrivain...



Dès la première lecture, je trouve que le livre est bourré d'humour. D'ailleurs, je n’ai pas pu m’empêcher de poser des post-it un peu partout sur les 4 premiers chapitres, tant ils me parlaient. Voilà donc un ambitieux, qui se prétend écrivain par vocation, sans jamais écrire.

"Mais comment ose-t-il ???" me rétorque ma petite voix intérieure. 

Le portrait qu’esquisse Isabelle Minière de son personnage, par le biais d’un monologue intérieur, est savoureux de justesse : la frustration de ne pas écrire et la peur de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, les jugements continuels de son petit critique intérieur (comme dirait @sailorflo), la recherche du secret pour écrire quand il suffirait... eh bien d’écrire 😅, les petits rituels qui feraient de soi un écrivain et libéreraient (comme par magie) de la page blanche, mais aussi les personnages qui prennent vie dans sa tête et vivent au quotidien avec soi, les jugements parentaux hâtifs qui restent une fois adulte et nous freinent dans nos rêves, la jalousie des écrivains, les vrais, ceux qui s’accomplissent en publiant réellement des livres, alors que soi-même on enfouit ses rêves bien profondément, comme un secret honteux, ou un jardin secret.
J’ai eu le sentiment de me regarder dans un miroir grossissant et j’ai ri : 
"C’est tout à fait ça ! " me suis-je exclamé, un brin embêtée d’avoir été si bien décryptée.


Mais un tournant s’opère dans le roman, car Gaétan, l’écrit-rien, tente vraiment d’écrire ; il en parle autour de lui et cherche à trouver une solution. Et puis, petit à petit, le lecteur se rend compte que le narrateur vit au milieu de personnages qu’il crée et que ces personnages, inspirés de sa propre vie et de ses désirs, sont des doubles de lui-même ou de personnes qu’il connaît. D’ailleurs, lui qui n’écrit pas, est cependant le narrateur de tout ce roman... Sa pensée est une construction constante de portraits, de personnages ; il est à la recherche de l’expression adéquate, du mot juste ; sa plume joue avec les mots et les sons, comme un dieu qui donnerait le statut de personnage ou le retirerait à son gré, comme un créateur qui regarde de loin et manipule sa création.


La plongée est lente mais devient vertigineuse, tant la mise en abîme se creuse. En fait, à travers ce personnage, et le regard qu’il porte sur le monde, Isabelle Minière nous parle de la vie secrète de l’écrivain, de ce qu'écrire représente de frustration, de désir et de fragilité. Elle nous présente ce moment transitoire où l’idée tarde à venir, à prendre forme, à témoigner, par une œuvre d’art, de ce qu’on peut ressentir à l’intérieur comme une nécessité impérieuse, une preuve de l’artiste en soi.

Si la fin me semble une clôture parfaite au sujet de l’écriture, la petite intrigue amoureuse, elle, m’a un peu semblé superflue. On pouvait certes y voir la résolution d’un des thèmes abordés par le roman, à savoir la solitude, mais voir l’amour comme un accomplissement, je ne sais pas... ça me chiffonne ; c’est comme s’il y avait concurrence, ou que l’un ne pouvait pas exister sans l’autre.





J’ai donc beaucoup goûté l’humour taquin avec lequel Isabelle Minière traite l'écrivain en formation, ainsi que cette démultiplication de mises en abîme de l'écrivain et de l’écriture, qui permet d'aller au-delà de la caricature et approfondit le sujet, jusqu'à présenter une vision plutôt réaliste de l'acte d'écrire.



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